Il fait beau, c’est une magnifique journée pour se promener. Tout est réuni pour passer un bon moment, les enfants sont en vacances, il l ‘est aussi, seule maman n ‘est pas là. Tant pis ce sera une escapade entre » Papa et les enfants ».
Deux beaux enfants: un garçon de 5 ans, un petit costaud, du moins tout le monde le pense, avec ses cheveux courts et sa petite cicatrice au front, souvenir d’une chute chez Papi et Mamie, il paraît taillé pour la route …
… une fille Émilie, petite espiègle de 8 ans qui aime les fées, la belle au bois dormant, courir , sauter, et son Papa…jolie blondinette aux yeux bleus qui n’a de plus attachant que sa tendresse qu’elle distribue à tous vents.
Le temps de s’ équiper, et tout ce petit monde saute dans la voiture.
La route est belle et dégagée comme le ciel, toute l’équipe roule vers la montagne pour passer une SUPER après- midi .
Sur le parking, la troupe descend. Les casse – croûtes sont dans le sac de papa. La gourde dans celui de la cocotte. Les lacets sont vérifiés. Tous sont prêts pour la balade.
Le sentier débute bientôt. En file indienne, tels les Dalton, ils avancent en chantant. Dans sonrôle de grande soeur, presque de Maman, Émilie surveille son frère, l’aidant dès qu’elle peut, lançant un regard complice à son père, un regard qui pourrait dire »t ‘as vu Papa comme je fais bien , comme Maman; c ‘est pour t ‘aider , tu peux compter sur moi, je suis grande…!
Peut -être ai -je, juste un instant, trop compté sur elle.
A quoi ai- je pensé à ce moment…je ne m ‘en souviens plus. Jusqu’à ce cri, qui tel une décharge électrique me fit sortir de mes songes. Mes yeux redescendirent devant moi, sur le sentier, les enfants n’y étaient plus . Un picotement parcourut mon échine puis l ‘adrénaline et la peur. » Nous nous sommes éloignés du chemin , il n’ y a pas d’arbre à ma gauche, je vois l ‘autre versant , c’est un précipice, quelque chose bouge ». Emilie ,qui court ,essaie de rattraper son frère; trop près du bord, il tombera avant qu’ elle ne le rattrape…Alors, tel un animal ne suivant que son instinct, je bondis; en un instant, je suis sur eux, au plus pressant j’attrape du bout des doigts ce petit homme qui se précipite dans le vide . D’ un revers je le fais rouler en arrière.
Je m’effondre au sol . Du coin de l’ oeil, j ‘aperçois Emilie. Emportée dans sa course, elle passe à côté de moi, ses pieds ne touchent déjà plus sol, son corps tout entier est dans le vide. Je ne crois pas avoir crié, si je l ‘avais fait , le monde entier ce serait obscurci. A ce moment l’univers ne me paraît pas tourner rond, un vide glacial m’ envahit,tout ça ne devrait pas être ainsi.Nous devrions être sur le chemin à chanter et rigoler, regarder la nature avec les enfants émerveillés de tout ça!
Non je suis là ,allongé sur le sol. Dans mon oreille gauche, le bruit lointain d’un petit garçon qui pleure.Dans mes yeux, comme imprimé, marqué au fer, le regard d’ Emilie emplie de frayeur, qui dit avec ses mots, que le monde ne tourne pas rond, qu’ elle ne devrait pas être là…
A ce moment là, si j’avais pu, j’aurais sacrifié le monde entier pour pouvoir attraper sa main. J’aurais tué de mes mains pour la garder, je me serais parjuré aux yeux de tous pour la ramener avec moi. J’aurais échangé sa vie contre la mienne, pour qu’elle rentre à la maison.
Mais déjà son corps frappe les premiers rochers, rebondit tel une chose inerte qui pourrait ne pas être ma fille. Je ne devrais pas regarder, mais je ne veux pas l’abandonner, la laisser seule. Elle rebondit à nouveau. J’espère qu’elle est morte, qu’elle ne souffre plus. Puis elle roule et roule …et roule…et tout s’arrête…
Un temps j’ai pensé à la chercher, à la rejoindre. Mais cela aurait été plus lâche que courageux et surtout inutile…
Comment peut – on survivre à une telle souffrance?
Pourquoi la joie a -t- elle besoin du relief que lui donne la peine, pour exister?
Ne peut -on pas être triste toute sa vie que pour rendre ceux qu’on aime heureux?
Pourquoi ne puis -je pas mourir pour la faire revivre…
Si Dieu qui « est amour » existait, s’il m entendait … ne me permettrait -il pas , « par amour » de la rechercher?
Non ,tant de cruauté, c’est pas possible…
«